Oscar, le papa cuisinier
Nouvelle rubrique ouverte : l'interview du mois. Je vais essayer de vous présenter au mieux les personnes que je suis amené à côtoyer. Par la même, je vais pouvoir apprendre à les connaître un peu plus en profondeur. Le principe ? Je leur pose quelques questions et je les laisse partir dans leurs réflexions sans donner mon opinion. Le premier sujet : Oscar.
Contexte : L'après-midi fut consacrée à une petite virée en mobylette dans les villages voisins de Koumi ponctuée par de nombreuses « étapes dolo ». Nous nous arrêtons à la Guinguetta, petit bar-restaurant perdu dans la brousse, pour prendre un poulet braisé et une Brakina (bière locale). Le soleil commence sa lente descente, un chien errant est en train de se débattre avec un ennemi imaginaire et les moustiques se font un plaisir de me rappeler que j'ai oublié mon Insect-Ecran. Oscar est quelque peu ouvert à la discussion et très expressif... Je prends donc mon carnet et mon stylo et avec sa permission, je commence cette première interview en terre voltaïque.
C'est comment Oscar ? Prêt ?
Oui oui vas-y mon ami.
Bon je te laisse te présenter...
Je suis Oscar Sanou. J'ai une femme et trois enfants. Deux garçons et une fille. Je suis originaire de Koumi. Si j'avais à me présenter, je dirais que je fais partie de la famille des masques du village. Nous sommes accueillants. Mon ancêtre a amené les masques à Koumi, je suis donc le responsable des masques. Si à la cérémonie des masques on ne te laisse pas passer, je dirai qu'il faut te laisser entrer. Et s'ils n'obéissent pas, ça va mal se passer pour eux. Ah oui, je suis responsable !
Quel métier exerces-tu ?
Je suis cuisinier. Avant, j'étais ouvrier de la maison.
C'est quoi un ouvrier de la maison ?
Et bien tu fais tout. Que ce soit les clés, je fais. Que ce soit la cuisine, je fais. Que ce soit la lessive, je fais. Que ce soit le jardin, je fais. Voilà, c'est ça un ouvrier de la maison.
Après on m'a proposé d'être cuisinier, j'ai dit non car je trouvais ça trop dur ! Le cuisinier d'avant m'a dit qu'il fallait que je le remplace. Il sentait que j'avais quelque chose avec la cuisine.
Et alors, comment es-tu devenu cuisinier ?
L'année où ma mère est partie au ciel, mon vieux papa m'a dit : « quand un prêtre te fais confiance, il faut le respecter. » Depuis, je suis le cuisinier principal. Nous sommes honnêtes avec Frederic (l'autre cuisinier). Si on trouve de l'argent dans vos habits, on va vous la redonner. Comme ça si par exemple mon fils va un jour en France, tu l'aideras car j'ai été honnête avec toi. Si je ne suis pas honnête, tu n'aurais pas envie de l'aider.
Que penses-tu de ta situation ? Es-tu content de ce travail ?
Oui maintenant je suis content mais pas trop. Par exemple, l'autre jour on m'a appelé pour un service alors que j'étais en congé. J'étais dans les champs en train de cultiver et on m'a appelé. Je suis venu. Mais je n'ai rien reçu comme indemnités. C'est pas normal... Comment je fais moi pour ma maison ?
Justement, parle-moi de ce projet de maison...
Oui, j'essaye d'économiser pour construire une maison pour ma famille, ça vaut 2 millions Francs CFA environ. Je veux construire une maison en pierre. C'est important pour mes enfants car la priorité ça reste mes enfants. Le premier est de 2000, il va à l'école et il va rentrer en CM1. L'école coûte 2550 FCFA. J'économise surtout pour l'envoyer au collège car pour le moment mon salaire me permet de scolariser mes enfants. Je pense pouvoir scolariser les trois avec mon salaire. Pour la maison, ça sera beaucoup plus compliqué...
Qu'est-ce que c'est pour toi le bonheur ? A quel moment tu pourrais dire que t'es heureux ?
Je serai le plus heureux si les enfants que j'ai mis au monde auront quelqu'un qui puisse les aider.
Et à quel moment dans ta vie tu as été le plus heureux ?
Je pense que c'est quand j'ai eu mes enfants.
A quel moment tu pourrais dire que t'es malheureux ? Ta pire crainte ?
Ce serait de ne pas pouvoir soigner mes enfants.
Raconte moi un souvenir de jeunesse
Mon papa qui a marié ma mère. Tu sais, je suis orphelin de mère depuis longtemps... (silence prolongé)
Quelle est la chose que tu sais faire parfaitement ?
Comment ça ?
On a tous quelque chose dans laquelle on est le meilleur. C'est quoi le truc où tu sais que t'es le meilleur ?
C'est la cuisine. Je sais bien faire la cuisine.
Comment tu le sais ?
Tous les séminaristes et prêtres qui sont passés par Koumi m'ont dit que je faisais bien les choses.
Oscar, est-ce que tu as déjà voyagé ?
Oui, je suis allé à Ouagadougou ! J'avais 20-30 ans. J'ai un neveu là-bas. Le voyage était très bien. Les gens m'ont beaucoup respecté. Tout le monde m'a bien accueilli. Des gens de Ouaga m'ont dit que tout le monde me cherche partout là-bas maintenant.
Tu aimerais voyager où ?
J'aimerais aller en Europe.
Pourquoi l'Europe ?
Je sais pas moi, on nous parle depuis qu'on est tout petit de la France. Vous êtes venu ici pourquoi vous ?
Euh, ben j'aime bien voyager pour voir de nouveaux paysages par exemple.
Ben voilà, moi c'est pareil. J'aimerais aller en Europe pour voir les paysages. Je suis allé en Côte d'Ivoire et dans les pays voisins, j'ai pu y voir des paysages aussi.
Tu connais un proverbe d'ici ou une blague ?
Chez nous on dit que le chat qui saute pour embrasser les filles n'est pas un vrai chat. Celui qui est près d'en embrasser une est prêt de la marier.
Je comprends pas ce que ça veut dire ?
C'est pas grave, vous allez comprendre plus tard. Vous verrez.
OK, pour finir, t'as un message à faire passer aux gens qui vont lire ça ?
La femme que l'on doit marier, il faut être clair dessus. J'ai eu trois enfants de trois femmes différentes. La première est partie d'elle-même. La seconde aussi, elle avait un comportement anormal. La troisième est parfaite. Je l'ai épousé. Elle veut bien faire le tô pour mes amis, tu verras je t'inviterai à manger le tô et elle voudra bien. Il n'y a pas de problèmes, elle accepte mes amis. Les femmes doivent accepter les amis. Ta femme et ton ami sont pareils. Si ta femme n'accepte pas ton ami, ce n'est pas bien. Si ton ami n'accepte pas ta femme, ce n'est pas bien non plus.
Merci Oscar.